Black mirror ou comment penser le travail psychique au travers des nouvelles technologies ?

Marie Léchevin

A partir du visionnage d’un épisode de la série Black mirror (« The entire history of you »), une série qui bouscule, questionne, perturbe même, nous entamons une réflexion sur ce que les nouvelles technologies apportent au travail psychique et si elles peuvent en modifier le fonctionnement.
Le créateur de la série, Charlie Brooker, explique que le titre de la série fait référence à la technologie que nous considérons comme une drogue : « Si c'est une drogue, alors quels en sont les effets secondaires ?

Le « Black Mirror » du titre est celui que vous voyez sur chaque mur, sur chaque bureau et dans chaque main, un écran froid et brillant d'une télévision ou d'un smartphone.»
« Chaque épisode a un casting différent, un décor différent et une réalité différente, mais ils traitent tous de la façon dont nous vivons maintenant - et de la façon dont nous pourrions vivre dans 10 minutes si nous étions maladroits. », dixit le créateur.
Black mirror est aussi un sombre miroir qui nous renvoie à nous-mêmes, spectateur voyeur, position potentiellement malsaine.
Débat
Les appareils techniques nous appareillent au monde, aujourd’hui la technologie est omniprésente (entendons nous sur cette réalité, à laquelle même les réfractaires ne peuvent échapper, ignorer), et nous avons besoin de passer par la technologie pour avoir accès au monde généré par elle, qui tend à devenir La réalité.
Sans cet appareillage, pas d’accès à la réalité augmentée, devenue réalité effective. Un exemple concret, le microscope, outil technologique, qui nous donne à voir ce qui est invisible à l’œil nu. Cette réalité microscopique existe « réellement », elle augmente la réalité dans le sens où le microscope génère une réalité qui ne préexistait pas à l’outil.
Cette nouvelle réalité bouleverse nos repères et nos relations à l’autre.
Quid de la notion de rencontre, d’amitié, d’amour aujourd’hui ? Nos enfants peuvent-ils en avoir la même conception que nous ?
L’hyperprésence des réseaux sociaux, par exemple, change fondamentalement notre rapport au monde. Ce que intimité veut dire a changé.
Illustrations
Une personne de 35 ans, lorsqu’elle avait 15 ans et voulait téléphoner à son petit ami, le faisait à partir d’un téléphone filaire, fixe, qui se situait ou dans l’entrée de la maison, ou dans la chambre parentale. La dimension communicative est alors éminemment différente. (et dire que le téléphone est né il y a peu suite à des recherches pour faciliter la communication des malentendants et que les gens se demandaient ce qu’ils pouvaient bien en faire…)
Les nouvelles technologies permettent une externalisation de la mémoire. Les exemples sont multiples, mais prenons celui de la photo instantanée, du « selfie ». Nous ne vivons plus, pas, les choses de la même manière, la notion d’instantanéité, de présence, et surtout de souvenir n’est plus la même. Capturer, au sens de fixer en dehors de la mémoire, un événement, fait qu’on ne vit pas le Moment de la même manière.
Comment se construit un souvenir aujourd’hui ?
La relation à l’autre se trouve profondément modifiée, que dire de notre présence, de notre être au monde lorsque nous nous adressons constamment à quelqu’un qui n’est pas là ? Où sommes-nous nous-mêmes ?
Qu’en est-il du travail psychique à l’adolescence ? Des relations de dépendances ? Comment fait-on aujourd’hui un travail de deuil ? Comment vit-on l’absence dans un monde d’hyperprésence ?
Comment évoluons nous dans ce monde favorisant l’expression des pulsions, où la pulsion scopique est plus que satisfaite, où le narcissisme triomphe ?
Autant de questions qui nous interpellent directement en tant que cliniciens, fondamentalement et techniquement…