Psychologue
« MA RENCONTRE AVEC LE BARIATRIQUE
Je travaille comme psychologue de liaison dans un hôpital général. On me demande d’aller voir des patients qui se sentent mal ou qui sont confrontés à de longs séjours. C’est ainsi que j’ai découvert la chirurgie bariatrique.
Dans un premier temps, je n’ai pas su exactement quelle opération avait choisi ces patients. En liaison, je vois des patients de tous les services ayant tous types de maladies. Il m’est impossible de toutes les connaitre. Je parts donc du principe que si les problèmes somatiques du patient ont un sens psychique pour lui, il m’en parlera. Si c’est nécessaire, je me renseigne auprès des équipes soignantes.
Les patients qui avaient subit une chirurgie bariatrique me parlaient de douleurs et de leur envie de manger. De temps en temps, l’un ou l’autre me disait : « si c’était à refaire, je ne referais pas l’opération », mais c’était rare. Les mots étaient généralement rares et souvent pauvres.
Les équipes , par contre, m’interpellaient régulièrement sur le fait que tel ou tel patient n’aurait pas dû être accepté. Cela me frappait, comment un psy peut-il choisir quelle personne est susceptible de suivre une opération ? C’est à priori du ressort médical !
C’est en tentant de comprendre cette interpellation que j’ai appris ce qu’était une opération bariatrique : une mutilation volontaire du tube digestif faite dans le but de maigrir. En cas d’obésité grave ces opérations augmentent l’espérance de vie de manière significative. Malheureusement, elles génèrent beaucoup de complications et certaines sont mortelles. Nous n’avons jamais eu de morts dans notre hôpital, mais les complications sont nombreuses. Elles sont le plus souvent bénignes, parfois graves.
C’est avec l’hypothèse implicite que la personnalité du patient avait un effet sur la probabilité de morbidité que j’étais interpellée. J’ai voulu savoir si c’était le cas. J’ai donc entamé une recherche exploratoire pour chercher quels critères pouvaient être mis en évidence.
LE CADRE DE CETTE RECHERCHE
Il s’agissait donc d’identifier quelles caractéristiques psychologiques qui risquaient d’augmenter la probabilité de complications post opératoire.
J’ai vu 89 patients opérés dans les circonstances habituelles, c'est-à-dire un ou deux jour après l’opération. J’ai pris des notes très systématiques. Ces notes étaient prises lors du premier contact, c'est-à-dire avant que l’on sache si oui ou non il y aurait des complications post opératoire.
Pour objectiver les complications post opératoires, j’ai eu la chance d’avoir un critère tout à fait objectif : la durée de séjour. Actuellement, on cherche à diminuer les durées de séjour. Si un patient reste plus longtemps que prévu ce n’est que parce qu’il y a eu des complications. J’ai donc pris comme indicateur de complication post opératoire la durée de séjour.
C’est une étude exploratoire. Je n’ai pas cherché à vérifier les critères mais à les identifier. Je formulerais donc mes résultats en termes d’hypothèses.
QUELQUES RESULTATS
HYPOTHESE 1 : LES HOMMES ONT MOINS DE COMPLICATIONS QUE LES FEMMES
Les hommes ont moins complications post opératoire que les femmes. C’est le résultat le plus surprenant. Il n’était pas tout à fait inattendu, quelques infirmières le disaient, mais j’ai longtemps cru qu’il y avait moins d’hommes ayant des complications parce qu’il y avait moins d’homme opérés. Ce n’est pas exact. Parmi les personnes que j’ai vues, il y a proportionnellement moins de complications chez les hommes que chez les femmes. Leur temps de séjours moyen est inférieur à celui des femmes.
On le sait, le rapport à la nourriture est sexué, plusieurs études le montre. Les causes en sont nombreuses et d’origines variés. Je peux citer pêle-mêle : Le métabolisme moyen des hommes est supérieur à celui des femmes ; Les normes sociales ne sont pas identiques à l’égard du corps masculin et du corps féminin ; les relations précoces de la mère à son bébé, qui vont marquer le rapport à la nourriture, sont influencées par le sexe de l’enfant…
Mais comment cela influence-t-il le taux de complication post opératoire ?
HYPOTHESE 2 : LE TEMPS D’HESITATION EST UN MEILLEUR INDICATEUR QUE LA MOTIVATION
La motivation au sens large ne s’est pas avéré un facteur positif. L’une des raisons est sans doute que les personnes sont souvent sélectionnées sur leur motivation. Donc au stade de l’opération tous les patients sont motivés. Mais ce n’est pas la seule raison.
Certains types de motivations sont un indice négatif. Les patients pressés, ceux qui sont certain d’avoir trouvé dans la chirurgie « la solution à leur problème ». Ceux qui n’envisagent pas les échecs, ni même les difficultés à venir, sont très susceptibles de complications.
Le temps d’hésitation, par contre, est un indice très positif. Plus le patient à hésité, plus il a de chances d’être opéré sans complications .
Ce n’est pas un temps facile à connaitre. Souvent, les patients tentent de minimiser ce temps car toute la littérature parle de motivation.
Mon hypothèse est que ce temps est celui d’une élaboration et d’une confrontation à la réalité. Les patients qui ont passé un certains temps avant de se décider ont moins de pensées magiques. Ils peuvent parler de leur choix.
• Ils ont comparé les types d’opérations
• Ils ont souvent choisi un type d’opération parce qu’il est le moins mutilant à leurs yeux. Par exemple, « l’anneau car il est réversible », « le sleeve parce qu’il y a moins de complications »…
• Ils se sont intéressés aux personnes chez qui l’opération avait réussit, mais aussi à celles chez qui cela avait échoué.
• Ils ont des explications réalistes des échecs.
HYPOTHESE 3 : LES OBESITES TARDIVES ONT DE MEILLEURS PRONOSTIQUES
Cette idée a été formulée par Daniel Desmedt , les résultats de cette étude semblent confirmer sa pertinence. Mes hypothèses à ce propos tournent autours de deux axes. La fonction défensives ou pare-excitation de la nourriture, et, le sens accordé à la nourriture ou au poids.
Une obésité tardive est l’indice que le patient à d’autres ressources que la nourriture pour faire face à ses affects. Une obésité qui vient après de forts stress qu’ils soient positifs ou négatifs (l’exil, le deuil, la maternité), peut se résorber quand les problèmes psychiques commencent à être surmontés. Le patient peut retrouver ses autres mécanismes de défenses.
Une obésité tardive est aussi un indice que le patient n’a probablement pas investit la nourriture ou le poids de sens psychique fort. Par exemple : un de mes patients, pré-diabétique, est venu pour que je l’aide à perdre du poids. Nous nous sommes rendu compte que son obésité est le seul lien qui lui restait avec son père biologique qui l’avait abandonné à un an. Ne plus être obèse était, à ses yeux, renoncer à son père.
HYPOTHESE 4 : LES DIFFICULTES COGNITIVES ET LES INCOMPREHENSIONS MULTIPLIENT LES RISQUES DE MORBIDITE
Les débilités et les problèmes de langues sont bien sûr des facteurs de risques. Les régimes à suivre après les opérations bariatriques peuvent être contraignants et une mauvaise compréhension peut aboutir à des erreurs dont les conséquences risquent d’être graves.
HYPOTHESE 5 : LA PSYCHOSE, AU SENS PSYCHODYNAMIQUE, EST DE TRES MAUVAIS PRONOSTIQUE
Qu’est-ce que la psychose ? Les définitions changent en fonctions des modèles. Les modèles psycho-dynamiques postulent l’existence de structures psychotique avec leur corolaire de psychose non décompensées. Dans les modèles plus axés sur le symptôme, comme le DSM, il doit y avoir : « des idées délirantes, des hallucinations, discours désorganisé, comportement grossièrement désorganisé ou catatonique et symptômes négatifs (ex. émoussement affectif, appauvrissement du discours, perte de volonté) » pour que la psychose soit diagnostiquée.
Les patients opérés à l’hôpital dans lequel je travaille sont principalement sélectionnés depuis deux équipes. Certains médecins sont communs mais les équipes psychologiques sont très différentes. Les modèles utilisés ne sont pas les mêmes. Dans l’un, on utilise plutôt un modèle axé sur le symptôme. Dans l’autre, le modèle psychodynamique domine.
Aucune équipe n’accepte de patients en phase aigue de schizophrénie, mais il n’est pas rare que des psychotiques non décompensés (ou des patients souffrant de psychose ordinaire) du terme soient opérés. Ce sont ces patients que les infirmières repèrent comme bizarres et dont elles disent qu’ils n’auraient pas dû être opérés mais qui passent les barrières car ils n’ont pas de symptômes au moment des entretiens préopératoires.
Bien sur, les psychotiques ont des altérations des fonctions moïque. Même non décompensé, ils ont un rapport perturbé à la réalité et risquent de ne pas mesurer les dangers où ne pas prendre les précautions nécessaires.
Il arrive aussi que la perte de la nourriture les laisse sans autres défenses et qu’ils décompensent. Ce n’est pas systématique, mais cela arrive. D’autres continueront à manger et à grossir malgré deux, trois, et parfois quatre opérations de plus en plus mutilantes. Ils le feront parce que la vie serait encore pire pour eux sans manger. Pour moi, à ce stade, l’avis du psychologue ou du psychiatre devrait être une invitation à accepter le patient avec sa vie psychique.
EN CONCLUSION
Parmi les résultats surprenant de cette étude, il y a la différence homme-femme. Une piste intéressante à explorer. Un autre résultat surprenant est la validation indirecte de la notion de psychose non décompensée. Il serait aussi pertinent de voir si ces résultats ne concernent que le moment post opératoire, ou s’avère aussi juste concernant la réussite à moyen et long terme de l’opération bariatrique comme ma clinique semble le confirmer empiriquement.
Anne-Marie Hassoun
Psychologue
Novembre 2014