« l’avis psy » dans la chirurgie bariatrique
Le mardi 18 juin 2013, Isabelle Favry et Anne-Marie Hassoun ont proposé une conférence sur le thème « Psychisme et chirurgie bariatrique ». Dans cet article, Anne-Marie Hassoun évoque un des thèmes de cette conférence. Si du temps à coulé depuis cette recherche, les hypothèses formulée dans ce texte ont pour la plupart été confirmées par des travaux ultérieurs.
Ma rencontre avec la chirurgie bariatrique
Je travaille comme psychologue de liaison dans un hôpital général. Je vais voir des patients à la demande. Soit parce qu’ils se sentent mal subissent de longs séjours ou des annonces pénibles. C’est ainsi que j’ai découvert la chirurgie bariatrique.
Dans un premier temps, je n’ai pas su exactement quelle opération avaient choisi ces patients. En liaison, je vois des patients de tous les services ayant tous types de maladies. Il m’est impossible de toutes les connaître. Je pars donc du principe que si les problèmes somatiques du patient ont un sens psychique pour lui, il m’en parlera. Si c’est nécessaire, je me renseigne auprès des équipes soignantes.
Les patients qui avaient subi une chirurgie bariatrique me parlaient de douleurs et de leur envie de manger. De temps en temps, l’un ou l’autre me disait : « si c’était à refaire, je ne referais pas l’opération », mais c’était rare. Les mots étaient généralement rares et souvent pauvres.
Les équipes[1], par contre, m’interpellaient régulièrement sur le fait que tel ou tel patient n’aurait pas dû être accepté. Cela me frappait. Une psychologue est-elle qualifiée pour déterminer une indication opératoire ? N’est ce pas du ressort médical !
C’est en tentant de comprendre cette interpellation que j’ai appris ce qu’était une opération bariatrique : une mutilation volontaire du tube digestif faite dans le but de maigrir. En cas d’obésité grave, ces opérations augmentent l’espérance de vie de manière significative. Malheureusement, elles génèrent souvent des complications et certaines sont mortelles. Nous n’avons jamais eu de morts dans notre hôpital, mais les complications sont nombreuses. Elles sont le plus souvent bénignes, parfois graves.
C’est avec l’hypothèse implicite que la personnalité du patient avait un effet sur la probabilité de morbidité que j’ai été interpellée. J’ai voulu savoir si c’était le cas. J’ai donc entamé une recherche exploratoire pour chercher quels critères pouvaient être mis en évidence.
Le cadre de cette recherche
Il s’agissait donc d’identifier quelles étaient les caractéristiques psychologiques qui risquaient d’augmenter la probabilité de complications post opératoire.
J’ai vu 89 patients opérés dans les circonstances habituelles, c’est-à-dire un ou deux jours après l’opération. J’ai pris des notes très systématiques. Ces notes étaient prises lors du premier contact, c’est-à-dire avant que l’on sache si oui ou non il y aurait des complications post opératoire.
Pour objectiver les complications postopératoires, j’ai eu la chance d’avoir un critère tout à fait objectif : la durée de séjour. Actuellement, on cherche à diminuer les durées de séjour. Si un patient reste plus longtemps que prévu, ce n’est que parce qu’il y a eu des complications. J’ai donc pris comme indicateur de complication post opératoire la durée de séjour.
C’est une étude exploratoire. Je n’ai pas cherché à vérifier les critères, mais à les identifier. Je formulerais donc mes résultats en termes d’hypothèses.
Quelques résultats
Hypothèse 1
le temps d’hésitation est un meilleur indicateur que la motivation
La motivation au sens large ne s’est pas avérée un facteur positif. L’une des raisons est sans doute que les personnes sont souvent sélectionnées sur leur motivation. Donc au stade de l’opération tous les patients sont motivés. Mais ce n’est pas la seule raison.
Certains types de motivations sont un indice négatif. Les patients pressés, ceux qui sont certains d’avoir trouvé dans la chirurgie « la solution à leur problème ». Ceux qui n’envisagent pas les échecs, ni même les difficultés à venir sont très susceptibles de complications.
Le temps d’hésitation, par contre, est un indice très positif. Ce n’est pas un temps facile à connaître. Souvent, les patients tentent de le minimiser, car toute la littérature parle de motivation. Mais globalement, plus le patient a hésité, plus il a de chances d’être opéré sans complications.
Maximilien Kutnowski[2] va plus loin, selon lui, les opérations qui réussissent le mieux sont celles pour lesquelles il a dû convaincre le patient de faire l’opération.
Mon hypothèse est que ce temps est celui d’une élaboration et d’une confrontation à la réalité. Les patients qui ont passé un certain temps avant de se décider ont moins de pensées magiques.
- Ils peuvent parler de leur choix.
- Ils ont comparé les types d’opérations
- Ils ont souvent choisi un type d’opération parce qu’il est le moins mutilant à leurs yeux. Par exemple, « l’anneau, car il est réversible », « le sleeve parce qu’il y a moins de complications »…
- Ils se sont intéressés aux personnes chez qui l’opération a réussi, mais aussi à celles chez qui cela a échoué.
- Ils ont des explications réalistes des échecs.
Hypothèse 2
les obésités tardives sont de meilleurs pronostiques que les obésités de l’enfance.
Cette idée a été formulée par Daniel Desmedt[3], les résultats de cette étude semblent confirmer sa pertinence. Mes hypothèses à ce propos tournent autour de deux axes. La fonction défensives ou pare-excitation de la nourriture, et, le sens accordé à la nourriture ou au poids.
Une obésité tardive est l’indice que le patient a d’autres ressources que la nourriture pour faire face à ses affects. Une obésité qui vient après de forts stress qu’ils soient positifs ou négatifs (l’exil, le deuil, la maternité) peut se résorber quand les problèmes psychiques commencent à être surmontés. Le patient peut retrouver ses autres mécanismes de défense.
Une obésité tardive est un indice que le patient n’a pas investi la nourriture ou le poids de sens psychique fort. Par exemple : un de mes patients, pré-diabétique, est venu pour que je l’aide à perdre du poids. Nous nous sommes rendu compte que son obésité est le seul lien qui lui restait avec son père biologique qui l’avait abandonné à un an. Ne plus être obèse était, à ses yeux, renoncer à son père.
Hypothèse 3
les difficultés cognitives et les incompréhensions multiplient les risques de morbidité
Les débilités et les problèmes de langues sont bien sûr des facteurs de risques. Les régimes à suivre après les opérations bariatriques peuvent être contraignants et une mauvaise compréhension peut aboutir à des erreurs dont les conséquences risquent d’être graves.
Hypothèse 4
les hommes ont moins de complications que les femmes
C’est le résultat le plus surprenant. Il n’était pas tout à fait inattendu, quelques infirmières le disaient, mais j’ai longtemps cru qu’il y avait moins d’hommes ayant des complications parce qu’il y avait moins d’hommes opérés. Ce n’est pas exact. Parmi les personnes que j’ai vues, il y a proportionnellement moins de complications chez les hommes que chez les femmes. Leur temps de séjours moyen est inférieur à celui des femmes.
On le sait, le rapport à la nourriture est sexué, plusieurs études le montrent. Les causes en sont nombreuses et d’origines variées. Je peux citer pêle-mêle : le métabolisme moyen des hommes est supérieur à celui des femmes ; les normes sociales ne sont pas identiques à l’égard du corps masculin et du corps féminin ; les relations précoces de la mère à son bébé, qui vont marquer le rapport à la nourriture, sont influencées par le sexe de l’enfant…
Mais comment cela influence-t-il le taux de complication post opératoire ?
Hypothèse 5
la psychose, au sens psychodynamique, est de très mauvais pronostique
Qu’est-ce que la psychose ? Les définitions changent en fonction des modèles. Les modèles psychodynamiques postulent l’existence de structures psychotique avec leur corollaire de psychose non décompensée. Dans les modèles plus axés sur le symptôme, comme le DSM, il doit y avoir : « des idées délirantes, des hallucinations, discours désorganisé, comportement grossièrement désorganisé ou catatonique et symptômes négatifs (ex. émoussement affectif, appauvrissement du discours, perte de volonté) » pour que la psychose soit diagnostiquée.
Les patients opérés à l’hôpital dans lequel je travaille sont principalement sélectionnés depuis deux équipes. Certains médecins sont communs, mais les équipes psychologiques sont très différentes. Les modèles utilisés ne sont pas les mêmes. Dans l’un, on utilise plutôt un modèle axé sur le symptôme. Dans l’autre, le modèle psychodynamique domine.
Aucune équipe n’accepte de patients en phase aiguë de schizophrénie, mais il n’est pas rare que des psychotiques non décompensés (ou des patients souffrant de psychose ordinaire) soient opérés. Ce sont ces patients que les infirmières signalent comme bizarres et dont elles disent qu’ils n’auraient pas dû être acceptés. Ils passent les barrières, car ils n’ont pas de symptômes visibles au moment des entretiens préopératoires.
Bien sûr, les psychotiques ont des altérations des fonctions moïques. Même non décompensés, ils ont un rapport perturbé à la réalité et risquent de ne pas mesurer les dangers où ne pas prendre les précautions nécessaires.
Il arrive aussi que la perte de la nourriture les laisse sans autres défenses et qu’ils décompensent. Ce n’est pas systématique, mais cela arrive. D’autres continueront à manger et à grossir malgré deux, trois, et parfois quatre opérations de plus en plus mutilantes. Ils le feront parce que la vie serait encore pire pour eux sans manger. Pour moi, à ce stade, l’avis du psychologue ou du psychiatre devrait être une invitation à accepter le patient avec sa vie psychique.
En conclusion
Parmi les résultats les plus surprenants de cette étude, il y a la différence entre les hommes et les femmes. Une piste intéressante à explorer. Un autre résultat surprenant est la validation indirecte de la notion de psychose non décompensée.
J’ai testé les impacts de la personnalité sur le cours terme, en mesurant la durée de séjours post opératoire. Il serait pertinent de voir si ces résultats sont confirmés à moyen et long terme, comme ma clinique semble le confirmer empiriquement.
C’est avec l’hypothèse implicite que la personnalité du patient avait un effet sur la probabilité de morbidité que j’ai été interpellée et que j’ai commencé cette réflexion. Il me semble que mes résultats vont dans ce sens.
Anne-Marie Hassoun
Psychologue
Novembre 2014
www.polydenos.be
[1] Les équipes soignantes voient les patients dans des conditions quasi identiques jour après jour, année après année, décennie après décennie. Elles les voient arriver, s’installer. Elles voient la présence autour d’eux. Elles leur demandent une série de choses et voient leurs réponses. De cette répétition naît une image de la personne « banale » ou « inhabituelle ». Si les infirmières ne savent pas faire de diagnostics psychologiques, elles savent généralement détecter les personnalités « inhabituelles ». Je prends toujours au sérieux leurs avis même si je ne suis pas toujours d’accord avec leur demande.
[2] Dr Kutnowski Maximilien, spécialiste en médecine interne.
[3] Daniel Desmedt, psychiatre, chef de service de psychiatrie (HIS hôpitaux IRIS SUD), photographe.